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De l’incertitude à l’innovation : Set Based Engineering dans le développement de produits
Dans le processus de développement lean de produits, la recherche de solutions innovantes représente un défi à multiples facettes. Trouver la combinaison idéale qui réponde aux objectifs de l’entreprise, satisfasse les intérêts des clients et soit compatible avec les capacités techniques est un parcours complexe. Cet article explore une approche connue sous le nom de Set Based Engineering (SBE), une méthodologie qui vise à surmonter les limites traditionnelles du développement de produits.
Le SBE se distingue comme une approche prometteuse, où le succès est assuré par l’identification claire des intérêts du client et par la réalisation de cycles d’apprentissage avant la phase de conception. Cet article examine les fondements de cette méthodologie, explorant comment il est possible de transformer des défis en opportunités, en offrant une structure solide pour le développement de produits innovants et efficaces.
Défis dans le développement de produits
Dans le processus de développement d’un produit, la phase initiale est un terrain fertile pour toute une série de défis. À cette étape, l’incertitude imprègne les décisions cruciales et les objectifs des clients restent souvent imprécis.
Dans ce contexte, l’incertitude n’est pas seulement une condition transitoire, mais un défi persistant qui peut générer des dilemmes décisifs. Le manque de clarté des exigences du client et les lacunes dans les connaissances techniques deviennent des obstacles majeurs. L’approche traditionnelle, souvent caractérisée par le choix d’une seule solution sans exploration approfondie, est susceptible d’échouer, ce qui se traduit par des prototypes qui n’atteignent pas les objectifs du projet et des systèmes qui ne fonctionnent pas correctement lors des tests d’utilisation et d’intégration.
Le rôle décisif des choix initiaux
La prise de décision dans les phases de concept, façonne la voie future du projet et exerce également une influence considérable sur les résultats. Des études révèlent que 70 à 85 % des coûts totaux des produits sont déterminés par des décisions prises à ces étapes initiales. Seulement une part modeste des investissements (entre 8 et 15 %) en recherche et développement (R&D) est allouée à cette période critique.
De plus, les entreprises font face à la réalité déconcertante qu’une proportion substantielle de leur capacité de R&D, située entre 60 et 75 %, est consommée par des retouches résultant de décisions initiales erronées. La dissonance entre le poids des choix initiaux et l’investissement dédié à ces décisions souligne l’importance d’avoir des approches plus robustes et des stratégies qui peuvent atténuer ces défis inhérents.
Dans la phase initiale du développement de produits, ces défis ne sont pas seulement des obstacles temporaires, car ils finissent par avoir un impact tout au long du cycle de vie du produit.
La méthode « tester puis concevoir » des frères Wright
L’histoire de la conception de systèmes est marquée par des jalons significatifs qui ont façonné la manière de concevoir et de développer des produits. Un chapitre important de cette évolution est représenté par la méthode « tester puis concevoir » ou approche expérimentale des frères Wright, pionniers de l’aviation. Cette méthode innovante a divisé le défi complexe du vol en trois domaines critiques représentant des lacunes de connaissances : élévation, contrôle et propulsion.
En se concentrant indépendamment sur chacun de ces domaines, les frères Wright ont adopté une approche focalisée et itérative, innovant dans le domaine du vol grâce à la méthode et à l’expérimentation. En apprenant ce qui était nécessaire à leur réussite, avant même de se lancer dans la conception de l’avion, ils ont jeté des bases solides pour le développement de systèmes complexes. Cette méthode d’essai et d’apprentissage avant de passer à la conception a permis de réaliser le vol, mais elle a également jeté les bases de futures méthodes de conception de systèmes.
À mesure que les défis inhérents au développement de produits sont devenus plus complexes, la nécessité d’approches plus flexibles et adaptables a émergé. La transition du paradigme traditionnel vers le Set Based Engineering représente un jalon significatif dans cette évolution.
Introduction au Set Based Engineering
Comprendre véritablement ce que les clients désirent est un défi récurrent. De plus, en approfondissant cette compréhension, l’incertitude règne quant à la possibilité de répondre aux attentes des clients. Cependant, les entreprises s’engagent à agir le plus rapidement possible pour atteindre ces objectifs.
Flux itératif et incrémental de décisions et de travail
Au cœur du Set Based Engineering (SBE) se trouve la création d’un flux de décisions et de travail qui est itératif et incrémental. Ceci est atteint grâce aux courbes de trade-off, ainsi qu’aux relations causales entre elles.
Les courbes de trade-off offrent une représentation visuelle des processus physiques et économiques du produit. Ces courbes sont l’outil principal que les ingénieurs, comme chez Toyota, utilisent sur différents fronts, depuis la compréhension et la communication entre les domaines et fonctions, jusqu’à la formation des nouveaux ingénieurs. De plus, ces courbes servent de base pour cataloguer le savoir, faciliter la négociation et la communication entre le client et le fournisseur, réaliser des révisions de conception et incorporer une plus grande qualité au produit.
L’objectif central du SBE est de minimiser le « bruit » tel que la résistance au progrès, résultant en des décisions plus informées et efficaces. L’approche de Toyota implique la réalisation de tests exhaustifs de ces courbes jusqu’à ce que de multiples prototypes échouent. Ce principe est connu sous le nom de Set Based Thinking, où l’accent n’est pas mis sur la saisie d’un seul point, mais sur la saisie d’ensembles entiers de solutions.
Connaissance acquise disponible pour d’autres projets
Le SBE agit sur plusieurs fronts pour visualiser, comprendre et résoudre les lacunes en matière de connaissances. En adoptant le SBE, les entreprises ne se contentent pas de répondre aux souhaits de leurs clients, elles accumulent également des connaissances utiles pour de futurs projets. L’accent mis sur l’approche du Set Based Thinking permet aux organisations d’explorer des ensembles de solutions, offrant une base solide pour des décisions éclairées et une innovation continue dans le développement de produits.
Avantages du Set Based Engineering
Le SBE offre une série d’avantages tangibles aux entreprises qui l’adoptent. Cette section explore les gains apportés, en soulignant comment cette méthodologie transforme l’incertitude en avantages tangibles.
Minimisation des risques et amélioration de la prise de décisions
En créant un environnement où plusieurs solutions sont explorées et testées de manière itérative, l’approche du SBE permet aux équipes d’identifier et de mieux comprendre les défis avant de prendre des décisions définitives. Cela résulte en une prise de décisions plus informée et en une réduction significative de l’incertitude, atténuant les éventuelles défaillances qui pourraient survenir plus tard dans le cycle de développement.
Innovation continue et apprentissage organisationnel
En adoptant la pensée du Set Based Thinking, les équipes sont encouragées à identifier les lacunes dans les connaissances et à les résoudre. Cette approche permet de trouver des solutions plus efficaces, et d’enrichir les connaissances de l’organisation, créant ainsi une base solide pour les innovations futures.
Amélioration de la communication et de la collaboration
Les courbes de trade-off utilisées dans le SBE servent d’outils de prise de décisions et améliorent également la communication et la collaboration au sein et entre les équipes. La visualisation claire des processus physiques et économiques du produit facilite la compréhension mutuelle, favorisant un environnement collaboratif et efficace. Cela est crucial tant pour l’optimisation du design que pour une communication efficace avec les clients et les fournisseurs.
Adaptation dynamique aux changements dans l’environnement des entreprises
Le SBE permet une adaptation dynamique aux changements de l’environnement des entreprises. La flexibilité inhérente à l’approche permet de répondre plus facilement et plus rapidement aux changements des exigences des clients, aux développements technologiques et à l’évolution des conditions du marché. Les entreprises se trouvent ainsi dans une position stratégique qui leur permet de relever des défis en constante évolution et de se démarquer dans des environnements concurrentiels.
En résumé, le SBE ne se contente pas de résoudre les problèmes intrinsèques au développement de produits, mais offre également une approche holistique qui favorise l’efficacité, l’innovation et la résilience de l’organisation.
Étapes du Set Based Engineering
Le SBE est une approche qui guide le développement d’un produit à travers des étapes bien planifiées. Chaque phase est conçue pour maximiser la compréhension du client, identifier et résoudre les lacunes en matière de connaissances techniques, apprendre de manière itérative et, finalement, intégrer des solutions pour parvenir à une conclusion optimale.
Intérêts du client
À cette étape initiale, les exigences du client et ses lacunes en matière de connaissances sont visualisées en détail, à l’aide des cadres d’intérêt du client, afin de s’assurer que ses besoins et ses préférences sont pleinement satisfaits.
Objectifs
- Compréhension approfondie des désirs des clients : explorer en détail les motivations et les modes d’expression des clients.
- Sélection des besoins à satisfaire : décider quels besoins du client doivent être priorisés.
- Transformation en unités mesurables : convertir ces besoins en unités mesurables, en établissant des valeurs et objectifs spécifiques.
- Connaissance des limites et compromis : comprendre les limites et les compromis entre les différents intérêts des clients.
- Organisation en tableaux des intérêts du client : structurer et organiser ces informations de manière claire et visuelle.
Livrables
- Cas d’usage pour chaque segment de marché : comprendre initialement ce que les parties prenantes désirent, pourquoi elles le désirent et de quelle manière.
- Positionnement des concurrents : évaluer les stratégies adoptées par la concurrence.
- Priorités des Intérêts à satisfaire : prendre des décisions en connaissance de cause sur les intérêts à privilégier.
- Catégories des intérêts du client : identifier et classer les différentes catégories des intérêts des clients.
- Variables de décision : identifier les variables de décision associées à chaque intérêt du client.
Planification de la faisabilité
Dans la deuxième phase, la planification de la faisabilité est au centre des réflexions, car les intérêts du client sont intrinsèquement liés aux décisions techniques. La « matrice des alternatives » et la « carte des causes » permettent d’identifier et de traiter les écarts dans les connaissances techniques.
Objectifs
- Connexion stratégique entre les intérêts des clients et les décisions techniques : établir une interconnexion efficace entre les intérêts du client et les décisions techniques fondamentales.
- Identification des relations entre variables techniques, limites et compromis : analyser et comprendre les interrelations entre les variables techniques, ainsi que les limites et compromis associés.
- Liste des lacunes de connaissance technique : identifier les lacunes en matière de connaissances techniques existantes dans l’organisation.
- Définition et planification des tests pour résoudre les lacunes : élaborer un plan avec des actions, des dates et des responsables pour résoudre les écarts de connaissance technique et le mettre en œuvre.
Livrables
- Matrice des alternatives : documenter la relation directe entre les intérêts du client et les décisions techniques pertinentes.
- Carte causale : établir visuellement les possibles relations entre les intérêts du client et les décisions techniques, en identifiant les liens critiques.
- Carte décisionnelle : transformer la carte causale en une carte décisionnelle structurée, offrant une vue claire et ordonnée.
- Identification des lacunes de connaissance : cartographier les relations inconnues et les domaines de connaissances absents dans l’organisation.
- Tableau de planification de la faisabilité : planifier les décisions techniques et les lots de travail associés, fournissant un cadre pour l’exécution efficace des actions nécessaires.
Cycles d’Apprentissage
Dans la troisième phase, appelée « Cycles d’Apprentissage », l’accent est mis sur la résolution des lacunes de connaissance précédemment identifiées. Habituellement, le cycle LAMDA est utilisé pour résoudre les écarts de connaissance, en favorisant l’amélioration continue et en accélérant le développement de produits grâce à un apprentissage proactif en phase initiale.
Objectifs
- Définition du problème et objectifs d’apprentissage : clarifier le problème sous-jacent et établir des objectifs d’apprentissage clairs.
- Étude détaillée avec les cycles LAMDA :
– Look (observer) : observer et étudier le contexte et les variables impliquées.
– Ask (demander) : formuler des questions cruciales pour approfondir la compréhension.
– Model (modéliser) : créer des modèles qui représentent efficacement le problème.
– Discuss (discuter) : organiser des discussions en collaboration afin d’explorer différentes perspectives.
– Act (Agir) : mettre en œuvre des actions concrètes basées sur les conclusions tirées.
- Construction de prototypes pour tester les éléments liés aux lacunes en matière de connaissance : développer des prototypes pour évaluer des solutions pratiques aux écarts identifiés.
- Test et évaluation des résultats : réaliser des tests rigoureux sur les prototypes, évaluer leur efficacité et résoudre les écarts en matière de connaissances.
- Documentation de la connaissance acquise : enregistrer de manière détaillé les leçons tirées et les connaissances acquises tout au long du processus.
Livrables
- Étude (utilisant le cycle LAMDA) : documenter les phases « observer, demander, modéliser, discuter et agir », mettant en évidence le processus d’apprentissage.
- Prototype : développer et présenter des prototypes qui répondent directement aux écarts de connaissances identifiés.
- Tests : évaluer les prototypes, valider les solutions proposées et résumer les découvertes dans le tableau des tests.
- Résumés des connaissances / courbes de trade-off : documenter clairement les informations obtenues, y compris les courbes de trade-off, et extraire les enseignements tirés pour guider les décisions futures.
Événements d’Intégration
La phase finale, connue sous le nom d’événements d’intégration, se concentre sur la combinaison des connaissances acquises dans les phases précédentes avec le choix entre les alternatives concurrentes, en se basant sur ces connaissances.
Objectifs
- Sélection d’alternatives concurrentes basée sur la connaissance visible : utiliser les connaissances acquises pour choisir parmi les alternatives concurrentes disponibles.
- Élimination des solutions moins robustes : écarter les solutions moins efficaces, en se concentrant sur l’optimisation et la sélection.
- Atteindre une solution optimale dans les limites temporelles et budgétaires établies : assurer que le choix final soit le plus avantageux possible, compte tenu du temps et des ressources financières.
- Réduction de l’espace de conception sans compromettre les caractéristiques du produit : affiner la portée ou l’espace de conception, tout en maintenant l’accent sur les caractéristiques essentielles du produit.
- Normalisation des décisions et implication des parties prenantes : établir des normes de décision et impliquer les parties prenantes pour garantir l’alignement et le consensus.
Livrables
- Révision des connaissances : atteindre un consensus sur les résultats obtenus pendant le cycle d’apprentissage en cours, en assurant que la connaissance soit totalement comprise et acceptée.
- Préparation des événements d’intégration : organiser les informations et les insights du cycle d’apprentissage, afin de préparer la phase d’intégration.
- Événements intermédiaires d’intégration : analyser les alternatives disponibles, définir le nouvel espace de conception et considérer les implications sous-jacentes de chaque option.
- Événement final d’intégration : évaluer la satisfaction du client par rapport aux alternatives de faisabilité et sélectionner la solution finale optimale, en tenant compte de tous les facteurs pertinents.
- Décision sur la solution optimale : prendre une décision informée et collective sur la solution qui répond le mieux aux exigences, en consolidant les choix effectués tout au long du processus.
En abordant chaque étape avec diligence, les organisations peuvent tirer pleinement parti des avantages du SBE, créant des produits innovants, efficaces et conformes aux attentes du client.
Conclusion
Dans le contexte difficile du développement de produits, où la demande d’innovation est constante, la complexité réside dans l’équilibre entre les objectifs de l’entreprise, les attentes des clients et les capacités techniques. En adoptant le SBE, les organisations ne résolvent pas seulement les défis inhérents au développement de produits, mais créent également une base solide pour prendre des décisions éclairées et assurer une innovation continue. En adoptant pleinement les avantages du SBE, les entreprises sont en mesure de prospérer dans un environnement dynamique et compétitif.
Avez-vous encore des questions sur le Set Based Engineering ?
Qu’est-ce qu’une courbe de trade-off ?
Une courbe de trade-off est une représentation visuelle qui illustre la relation entre deux ou plusieurs variables, en mettant en évidence le compromis entre elles. Cette courbe aide à comprendre comment les changements d’une variable affectent une autre et vice-versa. Dans le contexte du développement de produits, les courbes de trade-off sont fondamentales pour prendre des décisions informées, en équilibrant les différents aspects du projet.
Qu’est-ce que le cycle LAMDA ?
Le cycle LAMDA est une approche structurée pour la résolution de problèmes et l’apprentissage continu. Chaque lettre représente une étape du processus :
- Look (Observer) : observer attentivement le contexte et les variables impliquées.
- Ask (Demander) : formuler des questions cruciales pour une compréhension plus profonde.
- Model (Modéliser) : créer des modèles représentant efficacement le problème.
- Discuss (Discuter) : réaliser des discussions pour explorer différentes perspectives.
- Act (Agir) : mettre en œuvre des actions concrètes basées sur les conclusions atteintes.
Le cycle LAMDA est un outil essentiel pour étudier des problèmes complexes, développer des solutions itératives et documenter l’apprentissage tout au long du processus. Ce cycle est fréquemment utilisé dans des contextes d’innovation et de résolution de problèmes liés au développement de produits.
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